samedi 11 avril 2009

Dernier tango a Buenos Aires



Dessine moi un tango...




Les bals de tango populaire se dansent dans des clubs, les milongas. Premiers pas.


De grands escaliers nous mènent dans une haute salle baroque. Des colonnes encerclent la piste de danse couverte de couples enlacés. La voilà la Confiteria Ideal, la reine des milongas! Nous prenons place à l'une des tables qui entourent le cœur illuminé, un peu à l'écart avec les autres spectateurs, certains en touristes, comme nous.

Je me rappelle de cette danse comme un exercice technique compliqué sans grande sensualité Ce souvenir ne tarde pas à me quitter. Plus je regarde les danseurs et plus leurs mouvements subtils me racontent une histoire. Il faut « rentrer » dans le tango pour l'apprécier. Ce sont les couples de seniors qui, les premiers, me font comprendre leur dialogue amoureux. Chez eux, pas de pirouette. Juste un vol léger d'avant en arrière, chaloupant tête contre tête et main dans la main. Il émane de leur étreinte une jeunesse et une passion comme renaissante à chacun de leur pas. Le tango est une poésie discrète qui se lit lentement, d'un couple à l'autre, à mesure que le bal tourne sur lui-même. La musique s'arrête, figeant les duos sur un pas final, suspendus. Entre chaque morceaux, chacun se redresse et se trouve tout intimidé, arraché à cette conversation intime livrée avec l'autre. Les paroles qu'ils échangent semblent bien plates en comparaison. Quelques notes de piano, l'accordéon entame sa narration, et les inséparables chavirent. Les femmes tracent de leurs aiguilles interminables des figures emmêlées sur le plancher, autour du pas dictateur de leur cavalier. La stature du mâle, vêtu de sombre, évolue sans heurt, déterminant une trajectoire imaginaire entre les vides que laissent derrière eux les autres paires. Suspendue à ce corps guidant, celui de la femme en prend le contrepoint. Dans des robes légères, de voiles et de dentelles, laissant voir la chair et la fragilité des hanches, elle improvise une parade de ses jambes révoltées. Glissant, pivotant, tapant, à chaque fois elle s'en revient à lui, qui se détourne sans s'émouvoir et lui lance un nouveau défi. Les meilleurs duos s'ébattent en de virtuoses combinaisons, comme des phrases de jazz sur une base rythmique en constante évolution.

Ainsi nous avons vu, au milieu du cercle que formaient les touristes de San Telmo sur la place du marché, un couple s'emporter dans des figures presque acrobatiques. Se voyait toujours dans leur étreinte ce profond dialogue secret, les yeux mi-clos, regard rivé sur le corps, l'esprit comme perdu sur l'air endiablé de la musique lointaine. 

Autre soir, autre ambiance à la Catedral. Singulière milonga logée dans un bâtiment industriel sommairement réaffecté en salle de bal. Dans une immense nef aux airs de squat décorée d'œuvres abstraites,  un immense comptoir sert des assiettes végétariennes et des bouteilles de vin. Les tables forment un U face à la piste que referme une scène encombrée. Un cours gratuit pour débutants se termine pour laisser place aux danseurs. Après quelques tours, un groupe s'installe; violoncelle, guitares, piano, accordéon, caisse en bois et chanteur. Celui-ci déclame de vieux standards de ténor de cabaret, comme un Carlos Gardel retrouvé. Les magnifiques couples de la jeunesse branchée tournoient dans un tango libéré, souriant. Nous savourons ce moment de pure beauté jusqu'à la fin, séduit par la teinte artistique que donne à la tradition cet éclectique endroit.






C'est avec un tout autre tango que nous clôturons notre intronisation dans ce monde de la séduction codifiée. Le dimanche soir, se tient une milonga dans une rotonde XIX ème siècle, au milieu du parc Belgrano. On y trouve quelques amateurs du quartier et leurs invités qui se donnent rendez-vous pour un bal informel dans l'air tiède du soir. Sous la coupole du grand kiosque illuminé, raisonnent les accents nasillards de morceaux classiques, nous projetant à la belle époque quand la ville était insouciante. Nous discutons avec une émigrée belge, qui vient danser là depuis deux ans. Elle nous avoue que c'est un piège, qu'on ne peut plus s'arrêter. Nous aussi ne pourrions plus nous arrêter de regarder les merveilles de sensualité qui se dégagent des danseurs fusionnés, en chute libre vers la grâce.






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